Une nouvelle: "ELLE"

Publié le par Maty

escarpin-rouge.jpg              Au mois de mars 2010, j'ai écris ma première nouvelle.

 

 

ELLE

  

Etrangement, je n’ai pas gardé beaucoup de souvenirs d’elle. Quelques images : un talon aiguille rouge surgissant de la  portière ouverte d’une twingo noire, qui se pose un peu instable sur le trottoir. Le second escarpin rouge, suivi des genoux ronds qui se prolongent en cuisses fermes, devinées sous la jupe. Elle s’extrait de la voiture. Son regard s’oriente vers le visage masculin, barré d’une moustache épaisse et rousse. Elle lui sourit. Elle domine d’une tête l’homme qui l’attend et qui lui tend une main aux doigts tavelés de taches de rousseur. D’un geste tendre, il met légèrement la paume de sa main sur le bas de ses reins, juste au-dessus de l’arrondi des fesses.

 

Je l’ai vue, et je peux ressentir le frisson qui est, alors, monté le long de son dos.

 

Je l’ai vue, par hasard, c’était ma femme. Celle pour qui j’avais imaginé une vie romantique, me voyant lui cueillir les fleurs sauvages des prés. Je l’avais aimée, admirée. Elle appartenait à un autre monde que le mien. Mes études s’étaient arrêtées très tôt. Fils de maçon, je me suis mis très vite à manier la truelle et le ciment. J’avais honte de mes mains crevassées et rugueuses. Je n’aimais pas les gens qui savaient écrire sans fautes d’orthographe et qui parlaient si sérieusement et si bien. Elle enseignait. A l’aise dans le petit cercle d’instituteurs et de parents d’élèves, elle rêvait de cinéma, de théâtre, de fêtes, d’invitations. Je nous avais construit une maison, au milieu des restanques, solide, qui ne craignait ni les pluies diluviennes du midi, ni le mistral. Aux fleurs que j’avais plantées dans le jardin, elle a préféré les restaurants, les stages, les sorties entre copains. Elle appréciait l’intelligence de ce roux, ses idées de gauche, sa générosité et son admiration pour les femmes. 

 

Elle a tout laissé. Pourtant, la maison était vide. Elle était partie.

 

J’ai rasé ma moustache.

 

 

 

Etrangement, d’elle, il ne me reste que des lambeaux de mémoire. Une voix : « Allo, c’est toi, tu me manques », appels téléphoniques de la cabine. La postière derrière son guichet, ne peut qu’entendre les mots doux adressés à l’amant. Je me souviens aussi du martellement  de la pluie sur la tôle de la voiture, scandé par le balancement régulier des essuie-glaces et soudain sa silhouette trempée de pluie, sur le bord de la route. Elle avait fui. Je l’ai recueillie.

 

 Les rosiers devenus hauts et toujours emplis de fleurs d’un  rouge si  profond qu’il en est presque fluo, se détachent à longueur de printemps et d’étés, sur le gris soyeux de la  Ste Victoire. Ils ne se souviennent pas de son sécateur. L’eau de la piscine qui glissait sur son corps, qu’elle avait dévêtu rapidement pour s’enfoncer dans la profondeur liquide, à l’abri des regards, ne garde pas dans sa transparence la nacre de ses seins. Elle était ma femme, mon épouse. Elle avait aimé mes mains, « différentes de celles des autres » disait-elle, aux doigts toujours un peu refermés, parsemés de taches de rousseur. Elle tressaillait lorsque je frôlais de ma paume la chute de ses reins cambrés. Mais elle rêvait de culture et de littérature, d’Art. Elle peignait et écrivait. Elle adorait les visites dans les musées, les expositions dans les galeries et les spectacles de danse. Je supportais mal de l’accompagner et m’impatientais, incompétent, ne comprenant rien. Un mur nous séparait de plus en plus sûrement. Le sport, le monde politique  et la gente féminine, m’intéressaient bien davantage.

 

Elle aimait les escarpins rouges. Elle a voulu sa liberté.

Elle a tout laissé, même la chatte Lisa.

 

Je suis resté seul, allant du grand canapé à un autre, du rez-de-chaussée à l’étage et de la terrasse au jardin.

 

J’ai rasé ma moustache rousse.

 

 

 

 

Plus de souliers rouges, une main fine, aux doigts d’artiste,  posée sur mon cou.

Il n’a jamais porté de moustache.

 

 

 

                                                                                             Maty

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